Page:Buies - Le Saguenay et le bassin du Lac St-Jean, 1896.djvu/340

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ouvertes, comme des routes ménagées d’avance à la marée toujours montante des migrations futures, s’offrent d’elles-mêmes aux allées et venues d’une circulation illimitée.

Mais les temps n’étaient pas encore arrivés de porter les yeux jusque-là. Dans un pays comme le nôtre, qui était encore alors à l’enfance de toutes choses, les préoccupations d’avenir ne prenaient pas grand’place dans la pensée même des hommes les plus éclairés, et il n’y avait que le besoin immédiat qui pût déterminer un effort sérieux et suivi dans une direction ou dans une autre.


ORIGNAUX, CARIBOUS, CASTORS.


Il était convenu (encore un peu même on était convaincu) que tout le pays s’étendant entre St-Raymond et le bassin du lac Saint-Jean était non seulement inhabité, mais encore inhabitable, réservé uniquement aux chasseurs du fier orignal, quadrupède géant des forêts, qui porte lui-même une forêt sur sa tête, dont l’encolure est celle du lion, la force et la rapidité égales, les jambes comme des flèches rasant le sol et le sabot aussi dur, aussi meurtrier qu’un boulet de canon ; aux chasseurs du noble caribou, ce dandy des montagnes, svelte, élégant, gracieux, qui court dans les clairières des bois, le long des lacs et des précipices avec le souci de l’art et la correction du gymnaste, qui ne se laisse jamais prendre qu’avec des précautions infinies et une astuce raffinée, qui, lorsqu’il est blessé, se défend avec fureur, et dont l’ouïe est si