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« Le capitaine avait, à l’avance, pris avec quelques Indiens de l’établissement de Saint-Anne un arrangement grâce auquel quatre des plus habiles chasseurs de leur tribu devaient nous joindre à quarante milles de Québec, à un rendez-vous désigné par eux, sur l’extrême limite des provinces habitées. Jack, le guide de notre caravane, nous attendait de son côté à Lorette avec ses autres compagnons…

« Le chemin qui conduisait à Lorette était large et bien tenu. Nous arrivâmes au rendez-vous après un trajet qui dura une heure.

« Nous parvînmes, à la tombée de la nuit, à un misérable hameau qui s’élevait sur les bords d’un petit lac, à une dizaine de milles de l’endroit où nous devions chasser les élans. La cabane de planches qui s’enorgueillissait du titre pompeux « d’hôtel du Roi Georges », était un misérable abri. Cette habitation fantastique se composait d’un immense hangar divisé en deux compartiments, l’un destiné au "bar-room", le compartiment indispensable du débitant de liqueurs américain, et l’autre servant de chambre à coucher à la famille du land-lord, qui, à vrai dire, était et devait être dans ce désert la seule consolation du tavernier, un Anglais fort bien élevé, qui, d’après ce que j’avais appris, avait été jadis dans une heureuse position. La seule distraction de cet exilé était de recevoir de temps à autre un numéro dépareillé du Journal de Québec, où il trouvait des nouvelles de son pays natal. Une particularité digne de remarque, c’est que cet honnête tavernier éprouvait un orgueil sans pareil à nous montrer, à travers les vitres gelées de l’unique croisée de son parloir, quelques centaines d’arpents de terre défrichés sur lesquels s’élevaient onze ou douze cabanes informes, auxquelles il donnait le nom de village Royal. « Douze ans avant cette époque, nous disait-il, ma colonie n’existait pas ! »