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rissez-vous, de quoi vous nourrissez-vous vous-mêmes ? — On ne pâtit pas, bien sûr, allez, monsieur ; on a des patates. — Des patates ! mais où donc poussent-elles ? — Tenez, voyez-vous, là, ce petit champ, ça nous en donne assez pour l’année… » Je regardai dans la direction indiquée et je vis en effet un parterre de patates dissimulé derrière toute espèce de choses. « Bien, c’est parfait ; des patates, c’est superbe ! mais cela ne suffit pas pour vous nourrir, vous et votre famille ? — Mais on a encore du blé avec lequel on fait notre pain. — Oui-dà, et où est-il, votre blé ? — Tiens, vous ne voyez donc pas ce morceau de terre, là, à votre gauche, au soroit, c’est à nous autres, ça. — Nouveau regard, nouvelle surprise ; je n’avais pas plus vu le blé que les patates. « Mais il vous faut le faire moudre, votre blé ? — Comme de raison ; aussi on a un moulin à farine, à deux milles d’ici, et quand le blé est moulu, on fait notre pain, nous autres mêmes, dans notre four. » — Je me sentis complètement mystifié. « Mais enfin, continuai-je, du blé, des patates, c’est essentiel, mais il est impossible que cela vous suffise. — Eh bien ! et notre vache donc, et nos petits cochons… » Comme notre homme prononçait ces derniers mots, je vis sortir des broussailles une vache avec sa clochette au cou, et de jeunes cochons qui arrivaient en galopant et qui, après toute espèce de gambades, repartirent en courant à travers les taillis qui les avaient dérobés à mes regards et disparurent de nouveau. C’en était assez ; j’étais édifié complètement sur la misère apparente qui m’avait tant