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qu’elle soit. Entre la terre et l’homme il s’établit comme un lien indissoluble, car elle et lui ont travaillé et produit en commun, les sueurs de l’homme servant à féconder la terre, et tous deux se nourrissant tour à tour l’un l’autre. J’avais vu déjà bon nombre de ces chaumières misérables faites en bois rond, qu’on nomme log houses, mal jointes, à peine couvertes d’un toit en écorce, brûlantes l’été, glaciales l’hiver, contenant souvent cinq, six enfants et plus, déguenillés, souffreteux, qui n’ont même pas parfois les vêtements indispensables, qui vivent, mangent, couchent avec le père et la mère dans une même pièce où manquent les choses les plus nécessaires, où chacun trouve à peine une place pour s’étendre, et je me sentais aller à une telle compassion, à une pitié si profonde que je m’arrêtai, déterminé à porter quelques modestes secours en argent dans plusieurs des chaumières qui s’espaçaient devant moi le long du chemin.

Je songeais déjà au bonheur que quelques écus allaient porter dans ces pauvres réduits, à l’ébahissement, à la joie des enfants, aux bénédictions qui allaient pleuvoir sur moi, lorsque j’aperçus à quelques pas en avant un homme sortant d’un taillis et se dirigeant vers une des chaumières. L’idée me vint de l’appeler : « Eh bien ! l’ami, lui dis-je, les temps sont durs, n’est-ce pas ? On ne mange pas le veau gras par ici… — Mais non, monsieur, pas trop, répondit-il ; on en a vu de pires ; les veaux ne sont pas gras, c’est vrai, mais ils se tiennent sur leurs pattes. — Ah ! bon, tant mieux ; mais avec quoi les nour-