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l’Anse Saint-Jean étaient pour ainsi dire des exilés. Il n’y avait point de voie de terre ; en été, la voie d’eau seule existait par le Saguenay qui, l’hiver, se couvrait d’un pont de glace, et encore ce pont de glace refusait-il souvent passage des semaines entières, à la suite des tempêtes de neige ou des vents violents qui rompaient et soulevaient la croûte, et rendaient tout chemin impossible. D’un autre côté, l’ancien chemin du Marais, qui allait de l’Anse à la Malbaie, distante d’environ quarante milles, n’était plus praticable pour les voitures, à trois lieues seulement du point de départ ; en sorte que les habitants de l’Anse vivaient dans un petit monde à part qui se bornait à eux-mêmes, et chez lequel l’ennui et les privations de toute nature augmentaient encore tous les jours l’isolement.

« La plus grande partie des habitants », écrivait en 1871 M. Adolphe Girard, missionnaire à l’Anse Saint-Jean, « n’ont pas même le nécessaire, surtout le printemps. Ces pauvres gens vivent au jour le jour, et ils n’ont pas d’épargnes pour le temps des semences. À cette époque il faut gagner le pain pour la famille, et la saison favorable s’écoule de la sorte sans que l’on puisse suffisamment ensemmencer les terres. Ici, ce sont les familles privilégiées qui ont de la viande toute l’année. Cependant ces pauvres gens, et les enfants surtout, si mal nourris qu’ils soient, jouissent d’un embonpoint à faire pâlir les enfants des riches citadins. Deux écoles, tenues sur un bon pied, fonctionnent ici ; elles sont fréquentées par 70 enfants environ. Elles sont sous le contrôle des commissaires. C’est au pauvre missionnaire qu’incombe la nécessité de faire les rapports au gouvernement et d’être secré-