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comme si les entrailles de la terre, fatiguées d’un pareil fardeau, les avaient rejetés d’un seul coup avec fureur.

Le cap Éternité est plus haut que son frère jumeau, mais il s’est quelque peu adouci sous la main des âges et il a laissé une épaisse chevelure de sapins couronner en paix son front et descendre sur ses flancs creusés de rides profondes. Il a une forme à peu près régulière et non pas le torse ni l’encolure violente du cap Trinité qui semble vouloir à toute heure déclarer la guerre aux éléments. Et ce caractère, celui-ci le communique à tout ce qui l’entoure ; on n’arrive à lui qu’après avoir vu défiler devant soi tout un rang de rochers abruptes, jetés en désordre sur le front de bataille, dressés à pic, et qui paraissent placés en ligne comme pour essuyer le premier choc, pour recevoir la formidable averse des cieux irrités. On les dirait toujours en colère à entendre leurs mugissements répondre aux vents de l’espace, à les entendre sourdement gronder au moindre bruit, ou quand les eaux, repoussées sous la proue des navires, se rejettent sur leurs flancs tumultueux. Écoutez… Le sifflet du bateau-à-vapeur a retenti ; l’écho dormait tranquille dans les antres profonds des noires montagnes ; soudain, à ce cri aigu qui traverse l’air, il s’éveille, il s’agite, il pousse un gémissement terrible qui, sorti des entrailles du cap, se précipite de vallées en vallées et de ravines en