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énorme rocher qui, à plusieurs centaines de pieds de hauteur, montre une surface verticale, coupée à arêtes vives, absolument unie et polie, qui lui donne l’apparence d’un véritable tableau et d’où lui est venu le nom qu’il porte. Cette surface est entièrement vierge et le voyageur, en l’apercevant, se prend à regretter que les principaux faits de l’histoire du Saguenay n’y soient pas écrits en lettres qui défieraient les injures du temps. Cet abrégé chronologique, écrit au-dessus d’un double abîme, serait sans doute le plus merveilleux des monuments à transmettre aux générations futures ; restent seulement à trouver le peintre qui oserait l’entreprendre et le gouvernement qui on ferait les frais.

Le Tableau est à environ cinquante milles de Tadoussac.

Mais aucun rocher, parmi tous ceux dont la bordure violente et tourmentée fatigue les eaux qui la caressent, et dont les cimes sourcilleuses se penchent sur le Saguenay en l’inondant de leurs ombres, n’égale en étrange et formidable majesté les deux caps dont les noms seuls éveillent dans l’imagination le sentiment d’une grandeur exceptionnelle, d’une sublimité souveraine. Ces deux caps sont ceux de l’Éternité et de la Trinité, géants des monts qui plongent à près de mille pieds de profondeur dans la rivière et qui s’élèvent tout droits de cet abîme jusqu’à une hauteur de quinze à dix-huit cents pieds,