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qui n’ont même pas parfois les vêtements indispensables, qui vivent, mangent, couchent avec le père et la mère dans une même pièce où manquent les choses les plus nécessaires, où chacun trouve à peine une place pour s’étendre, et nous nous sentions aller à une telle compassion, à une pitié si profonde, que nous nous arrêtâmes, déterminé à porter quelques modestes secours en argent dans plusieurs des chaumières qui s’espaçaient devant nous le long du chemin.

Nous songions déjà au bonheur que quelques écus allaient porter dans ces pauvres réduits, à l’ébahissement, à la joie des enfants, aux bénédictions qui allaient nous inonder, lorsque nous aperçûmes à quelques pas en avant un homme sortant d’un taillis et se dirigeant vers une des chaumières. L’idée nous vint de l’appeler : « Eh bien ! l’ami, dîmes-nous, les temps sont durs, n’est-ce pas ? On ne mange pas le veau gras par ici… — Mais non, monsieur, pas trop, répondit-il ; on en a vu de pires ; les veaux ne sont pas gras, c’est vrai, mais ils se tiennent sur leurs pattes. — Ah ! bon, tant mieux ; mais avec quoi les nourrissez-vous, de quoi vous nourrissez-vous vous-mêmes ? — On ne pâtit pas, bien sûr, allez, monsieur ; on a des patates. — Des patates ! mais où donc poussent-elles ? — Tenez, voyez-vous, là, ce petit champ, ça nous en donne assez pour l’année… » Nous regardâmes dans la direction indiquée et nous vîmes en effet un