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DE LA MATAPÉDIA

voir me contenir dans les strictes limites de l’observation et faire un rapport circonstancié, fidèle et nourri de faits, mais dépourvu de couleur et propre uniquement à guider les colons dans leur marche vers cette terre de Chanaan qui se trouve dans la province de Québec. Mais cela m’est aussi impossible qu’il m’a été impossible de contenir mon admiration et mon enthousiasme en parcourant les ravissantes campagnes qu’arrose ce ruban fuyant qu’on appelle la rivière Matapédia, ruban qui coule entre des bords aux aspects toujours changeants, toujours diversement pittoresques, qui se pare de tous les tons du ciel et des reflets multiples de ses rives, reflets tantôt sombres, tantôt miroitants et dorés comme une parure des champs au temps de la moisson. Cette rivière est féconde elle-même comme les terres qu’elle baigne ; elle est animée, vivante ; elle renferme en elle des millions de vies intenses, et peut nourrir, elle seule, de ce qui naît et s’agite dans son sein, tout un peuple de colons à qui la terre serait ingrate.

Quel beau pays, quel beau pays que le nôtre, me suis-je écrié cent fois en savourant ce délicieux spectacle ! Et comment se fait-il que tant de ses enfants aient fui ces riantes et inépuisables campagnes, qui leur promettaient l’aisance et le bonheur, pour aller se renfermer dans les sombres usines et les ateliers homicides des États de la Nouvelle-Angleterre ? Hélas ! C’est là une de ces fatalités inexplicables qui se rencontrent dans la vie de chaque peuple, mais que l’on serait bien coupable de ne pas combattre dès qu’on en a découvert les causes et que les remèdes en sont à sa portée.