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deux ans à peine, presque tous les colons avaient un excédent de production, qu’ils pouvaient écouler difficilement, faute de marchés rapprochés. Mais aujourd’hui, il n’en est ainsi, grâce à la construction du chemin de fer du Lac Saint-Jean, lequel atteint Roberval, sur les bords même du lac, et ne tardera pas à s’étendre à l’ouest et à l’est, pour donner à la colonisation tous les débouchés qui lui sont nécessaires.

Cette région est surtout propre à l’élevage des bestiaux. Le fourrage est tellement riche que le mouton du Lac Saint-Jean est déjà renommé pour l’excellente qualité de sa chair et plusieurs wagons, chargés de ces animaux ainsi que de bêtes à cornes, ont été expédiés cette année sur le marché.

À côté de ce tableau, introduisons sans crainte une page descriptive, que nous extrayons du livre de M. A. Buies, « Le Saguenay et la Vallée du Lac Saint-Jean » :

« Nous voilà enfin arrivés devant cette petite mer qui est restée en quelque sorte légendaire jusqu’à nos jours, dont le nom frappe encore singulièrement bien des oreilles, et sur laquelle a plané pendant bien longtemps le voile mystérieux qui couvre l’immense solitude du nord. Il y a trente ans à peine, personne n’aurait osé croire qu’on pût seulement se rendre jusqu’au lac Saint-Jean ; c’était tellement loin dans le nord ! Le pays qui l’entourait ne pouvait être que la demeure des animaux à fourrures, et, seuls, les Indiens étaient regardés comme pouvant se hasarder dans ces sombres retraites que protégeait la chaîne des Laurentides et que défendait contre l’homme une nature réputée inaccessible. C’était un préjugé sans doute, mais avouons que ce préjugé, qui représentait comme inaccessible à la colonisation et à la culture toute la région du lac Saint-Jean, avait quelque raison d’être, car cette région a une physionomie qu’aucun autre aspect du Canada ne rappelle. Voyez se balancer, s’agiter ou s’endormir sur son lit de sable et d’alluvion, cette petite mer intérieure, semblable à un énorme crabe étendant dans tous les sens ses longues et nombreuses rivières, comme autant de tentacules, toutes prêtes à saisir les colons et à les attirer quand même sur le sein du monstre ! …