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— Ce furent les enfants d’un certain Bozo qui, en pêchant des crevettes, découvriront le figuier. Ils le portèrent à leur père, qui le mit sur un char pour le brûler comme une vulgaire bûche. Mais le char se brisa à l’endroit même où s’élève aujourd’hui l’église de la Trinité. À la vue du chariot brisé un pèlerin s’écria : Cette souche contient le précieux sang de Notre-Seigneur, c’est ici qu’il doit être conservé à la postérité. »

— Comment avait-il pu deviner ce mystère, ce pèlerin inspiré ?

— Voilà bien le miracle. Mais il y en a un second et plus étonnant que le premier.

— Bravo ! voyons le second miracle.

— Le duc Richard avait fait rebâtir l’abbaye de Fécamp en l’honneur de la précieuse relique. Le jour de la dédicace de l’église, savez-vous ce qui apparut ?

— Non, mais je brûle de l’apprendre.

— Un ange de six pieds de haut.

— Quel gaillard !

— Cet ange magnifique tenait dans sa main le gant, qu’il déposa sur l’autel. Puis il disparut, laissant son pied imprimé sur une pierre. Il n’y avait plus à douter de l’authenticité de la relique, et personne n’en douta plus.

Les pèlerins qui vont chaque année se prosterner devant le gant de Joseph d’Arimathie peuvent être évalués à vingt mille. Par la même occasion, ils boivent de l’eau d’une fontaine appelée. « Fontaine du précieux sang », et qui se trouve dans la cour de la maison portant le No. 10 de la rue de l’Aumône. Cette fontaine, propriété particulière, rapporte autant que les vignobles de Château-Margaux. Cette petite fiole d’eau est payée dix centimes par le croyant, et les fidèles en ingurgitent plus de dix mille litres le seul jour du grand pèlerinage. « Le succès comme vente de l’eau de la source du précieux sang, nous dit M. Conty dans son Guide des côtes de Normandie, a donné l’idée à un propriétaire voisin de faire concurrence au premier vendeur, en prétendant que c’était dans son champ et non dans celui de son voisin qu’avait été trouvée la relique. Quelle est la vraie source ? Faut-il boire aux deux pour faire un pèlerinage efficace ? Je ne puis vous renseigner à cet égard. » On parle d’un procès entre les deux propriétaires, dont l’un a bravement appendu à la porte de sa petite Salette l’écriteau suivant :

prairie où a échoué la souche du figuier contenant le précieux sang de n. s. Jésus-Christ.

Ne trouvez-vous pas qu’il est grandement temps de décréter l’instruction élémentaire obligatoire pour tous les Français ?