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c’est alors qu’on vit surgir les maîtres, les despotes, les empereurs en un mot. La corruption des mœurs engendre toujours les tyrans, de même que l’eau stagnante produit la boue.

Le premier de tous fut Sylla. Il fit voir aux Romains qui commençaient à être énervés tout ce que peut faire celui qui ose. Plus tard Auguste montra aux Romains devenus esclaves tout ce qu’on peut faire sans rien oser. Sous Sylla, ils se souvenaient encore d’avoir été libres : sous Auguste, ils n’avaient même plus la force de résister. Ils étaient propres à la monarchie.

Que fit l’Angleterre lorsqu’elle détrôna les Stuarts ? La république. Que fit la Suisse lorsqu’elle s’arracha des serres des Habsbourg ? La république. Que fit la France lorsqu’elle précipita sous la guillotine sa monarchie douze fois séculaire ? La république. Que firent toutes les populations de l’Amérique du Sud, lorsqu’elles brisèrent le joug de l’Espagne ? La république. Que demande aujourd’hui cette Espagne elle-même, affranchie à tout jamais de la camarilla ? La république ; et c’est la république que tous les esprits éclairés de France lui conseillent.

Voilà donc ce gouvernement si peu naturel à l’humanité, et dont l’humanité ne veut pas ! Ah ! si les hommes n’étaient pas si confiants, si, à peine rendus à la liberté, ils n’abandonnaient pas leurs destins aux ambitieux qui les trompent, la terre entière ne serait aujourd’hui qu’une vaste république, et les hommes, au lieu d’être les jouets des despotes qui les font s’entr’égorger, ne seraient plus que des frères s’embrassant sous le ciel satisfait.

La république, ou la liberté, n’est pas aujourd’hui ce que les peuples la croyaient autrefois. La liberté moderne est inséparable de la fraternité. On ne la veut pas seulement pour un peuple, mais pour tous les peuples. On veut effacer les frontières et voir tous les hommes dans la recherche du bien commun.

Voyez ces associations d’ouvriers qui se rencontrent sur un point donné de l’Europe, mais qui viennent de tous les pays à la fois. Ces ouvriers déclarent qu’ils sont frères et que les gouvernements ne les forceront pas à se battre les uns contre les autres. Voyez ces congrès pacifiques qui se réunissent à Genève. C’est le premier pas vers la fusion des races et l’harmonie des droits populaires.

Voyez l’Angleterre elle-même, la constitutionnelle Angleterre. Elle marche à grands pas vers la république. Sa reine n’est plus qu’une femme respectée et aimée ; mais ce n’est pas une reine, c’est un souvenir. Le prince de Galles sera probablement le dernier des rois anglais. Quand on aura renversé l’église établie qui est le principal soutien du trône, et que le suffrage aura atteint ses dernières limites, alors il n’y aura plus de raison pour conserver un fantôme de Majesté.