misérables ; à Ruremonde, en 1613, soixante-quatre furent exterminés deux par deux, pour prolonger la cérémonie. En quelques années, une abbesse souveraine livra aux flammes trente malheureux soupçonnés d’un crime impossible. Le bourreau d’Ypres se glorifiât d’avoir examiné sur tout leur corps des magiciens et des sorcières par milliers, d’en avoir détruit par centaines ; le père Remigius d’avoir voué au feu, dans un espace de cinq mois, cinq cents complices du démon. Un rapport, libellé en 1661 par le conseiller fiscal de Flandre, assure qu’une multitude prodigieuse de sorcières furent consumées en Flandre, en Brabant, et dans le pays de Liège, que la ferveur catholique dépeupla des localités entières.
Cette pieuse terreur dut troubler sans le moindre doute et ralentir la convalescence d’un peuple infortuné, auquel pendant cinquante ans on n’avait pas laissé une pierre pour reposer sa tête. Mais le flot de mort, qui roulait tant de cadavres, ne fixa point les regards de la haute société, ne comprima point dans la nation le retour à la vie. Les innocents qu’on faisait mourir appartenaient presque tous aux basses classes ; ou l’on crut à leurs enchantements et on approuva leur supplice, ou l’on détourna les yeux. Une sève longtemps accumulée jaillissait dans les rameaux supérieurs de la nationalité flamande : rien n’en pouvait suspendre l’élan.
Le pays offrait un navrant spectacle. « La discorde avait depeuplé les villes et laissé les campagnes sans culture. Des bandes de loups affamés se montraient aux portes des cités désertes, les bandits exploitaient les routes, des légions de mendiants assiégeaient le seuil des églises et des monastères. » — « En Flandre et en Brabant, écrivait le duc de Parme, dès 1583, on n’a pas ensemencé les champs ; Bruges et Gand ne sont guère moins que dépeuplées. La disette des grains est excessive, et la cherté des subsistances augmente chaque jour. C’est la chose du monde la plus triste que de voir combien ce peuple souffre. » Albert et Isabelle firent ce qu’ils purent dans les limites de leur intelligence, pour ressusciter l’agriculture, l’industrie, le commerce et la navigation.
La dévotion outrée d’Albert et Isabelle, pernicieuse pour la nation, ne le fut point pour les beaux-arts. Leur prodigalité envers les religieux dépasse toute idée. Dans un laps de trente ans, ils fondèrent, suivant un de leurs panégyristes, plus d’établissements pieux qu’il ne s’en était formé durant trois siècles. Bruxelles renfermait vingt couvents lorsqu’ils montèrent sur le trône ; à ces antres de paresse, d’astuce et de cupidité, ils en ajoutèrent douze, et restaurèrent les précédents. Toutes les espèces connues de moines et de nonnes s’abattirent sur la Belgique pour la dévorer.
Les archiducs firent construire plus de trois cents églises ; une seule, Notre-Dame-de-Montaigu, coûta 300,000 écus d’or.
Les prêtres étaient comblés de dons, de bienfaits, de privilèges. Les domaines, les hôtels vacants par l’extermination des propriétaires