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fices et des centaines de navires y chargeant leurs opulentes cargaisons… » Ce temps n’est pas encore venu, mais le rêve de Charlevoix n’est pas non plus évanoui ; cent cinquante ans plus tard, de nos jours, un homme d’une nature d’élite, d’une imagination d’artiste, sensible au beau, ému et enchanté par le spectacle grandiose qu’offre au regard notre fleuve roulant dans son cadre de montagnes qui se poursuivent à perte de vue derrière l’horizon, rassemblant tumultueusement leurs mamelons hérissés, comme des sanglots qui ont soulevé la vaste poitrine de la terre et se sont brisés en éclatant, tantôt s’abaissent sous la pression douce de quelque gorge qui ondule sur leurs flancs comme la caresse sur la crinière d’un lion, tantôt coupent les cieux de leurs crêtes pelées et tondues par les orages, courbent avec fureur sous les vents du nord-est leurs forêts irritées, ou bien balancent aux souffles tièdes d’été leurs grandes ombres assoupies, dont l’image plonge jusque dans les profondeurs du fleuve, se replient sur elles-mêmes, et puis s’entr’ouvrent et se déploient avec une harmonie majestueuse, faite des variétés réunies de tous les aspects,… en présence d’un pareil spectacle, que la terre n’a nulle part répété, un autre homme a conçu de nos jours un rêve peut-être aussi grand que celui de Charlevoix, et, plus heureux que son devancier, il a voulu en commencer sans retard la réalisation ; cet homme, Messieurs, à qui nous sommes appelés à rendre ce soir notre hommage reconnaissant, c’est mylord Dufferin, le gouverneur-général.

Voilà un nom, Messieurs, qui nous est cher à tous, depuis qu’il nous est connu. À peine avait-il mis le pied sur le rivage canadien, que lord Dufferin, frappé de la beauté sans égale de Québec, en faisait sa demeure de prédilection. Depuis lors, cette préférence, ce beau feu, comme on disait jadis, qui est l’entraînement irrésistible d’une âme délicate vers les grandes œuvres de la création pure, n’a fait que