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et comme des mânes qui percent de toutes parts le suaire du temps ; caractère et physionomie uniques sur une terre où l’œuvre de l’homme ne dure qu’un jour, où la veille n’apporte rien au lendemain, où le passé et l’avenir semblent également étrangers, parce qu’ayant fort peu emprunté à l’un, on ne se soucie guère de rien transmettre à l’autre. Québec a des monuments, chose étonnante en Amérique, et il a des ruines, chose unique ! Près de trois siècles y ont laissé leur image et leur empreinte sur le sol et dans l’air ; l’imagination peut s’y promener à l’aise autour d’un panorama admirable en évoquant à chaque pas des souvenirs aussi magnifiques que la nature qu’elle contemple… oh ! malheur à celui d’entre nous qui ne connaît pas l’histoire de la ville de Champlain, foyer modeste des plus beaux dévouements, du plus noble héroïsme, celui qui ne cherche pas la gloire et qui renferme toutes les grandeurs.

Avec un passé comme le nôtre, Messieurs, on prend rang de suite parmi les peuples qui ont grandi dans la mémoire des hommes ; les vertus difficiles, c’est-à-dire les vertus humbles, nous étaient familières, et le courage des vrais héros, celui qui est sans ressources et sans espoir, inconnu, ignoré souvent, presqu’aussitôt oublié, était l’âme même de nos aïeux, et quand je dis nos aïeux, je parle des habitants de Québec seul, parce que cette ville a été pendant cent cinquante ans le Canada tout entier. C’est elle qui maintenait, qui résistait, qui résumait tout ; c’était la seule ville militaire du continent, la seule où pût se jouer définitivement le sort des deux nations qui l’avaient colonisée ; c’était la seule au monde qui eût, à cent cinquante lieues de l’océan, un port de mer capable de contenir les plus grandes flottes, la seule aussi peut-être où l’on vît un aussi merveilleux ensemble de beautés naturelles servant de cadre aux plus éclatantes traditions dont puisse s’énorgueillir un peuple. Aussi, dès que l’heure de l’histoire eût sonné pour Québec