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de leurs pas était empreinte ; ils se poursuivaient et se remplaçaient tour-à-tour dans tous les pays découverts ; la terre entière n’était pas assez grande pour y arborer à la fois l’étendard de St. George et la fleur de lys, et si les océans eûssent disparu soudain, laissant à sec leurs abîmes sans fond, on n’eût pas tardé à y voir plonger la France et l’Angleterre pour se disputer les écueils, les récifs et les cavernes encore humides des vagues en fuite.

Mais admirons un étrange retour de la destinée. Cette inimitié séculaire, cette soif de représailles attisée sans cesse par de nouvelles injures à venger, ont fait place subitement à une amitié que rien n’altère et qui dure déjà depuis soixante ans. Il semble que les grandes guerres du premier empire aient épuisé ce qui restait de haine dans le cœur des deux peuples ; la garde impériale, tombant à Waterloo sur un lit de mitraille, a fermé l’épopée militaire qui comptait huit siècles de combats ; sur le terrain sanglant de la dernière grande lutte, l’Angleterre et la France se sont tendu une main qui ne s’est pas desserrée depuis lors, et le monde soulagé a vu ces deux géants s’embrasser dans une étreinte qui semble désormais éternelle. Pour nous, cette paix remonte plus loin encore ; elle a aujourd’hui cent quinze ans, depuis la deuxième bataille des plaines d’Abraham livrée par le chevalier de Lévis, et voilà maintenant au juste un siècle, depuis l’invasion de 1775, que Québec n’a plus vu un seul ennemi sous ses murs.

Québec, Messieurs, c’est un grand nom dans l’histoire ; c’est le premier de toute l’Amérique ; Québec est la seule ville qui ait un passé un peu long sur cette terre si jeune ; elle n’a pour ainsi dire rien du nouveau monde que la liberté de ses citoyens et un avenir sans limites ; elle a la saveur antique et un cachet de noblesse que recouvre déjà la poussière des âges ; on y sent les générations disparues