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sur une foule de petits objets sans importance, qui s’y perd et s’y noie en laissant de côté les grands traits, les grands souvenirs, les véritables monuments de l’histoire et les leçons qu’ils renferment. Ceux qui sont atteints de cette maladie risible fouillent avec ardeur des champs de bataille pour y trouver des talons de bottes, et consulteront les mémoires et les récits de toute une génération, feront comparaître devant eux cent vétérans pour savoir si la culotte de Montcalm était en peau de daim ou en peau de chamois. Ce qu’il y a de plus amusant, c’est que l’amour des boutons de guêtre d’un autre âge devient une vraie rage ; il y a des gens qui passent toute leur vie à la recherche d’un tibia et qui barbouilleraient dix rames de papier pour démontrer l’endroit exact à six pouces près où Wolfe a rendu l’âme. J’avoue, pour moi, que j’aime mieux envoyer vingt-cinq billets doux par jour à une jolie femme qui vit de mon temps, que d’adresser cinquante volumes à la câline d’une vénérable matrone qui avait l’honneur de causer avec mon bisaïeul.

Je ne veux pas pousser trop loin la médisance, mais l’occasion est trop bonne pour ne pas dire en passant que le goût du vieux pour le vieux est une de nos grandes faiblesses, à nous, Québecquois. Il n’y a rien entre autres que nous aimions autant que les maisons brûlées, et il va sans dire que plus il y a longtemps qu’elles le sont, plus nous y tenons… ça devient antique !

Nous avons en vérité trop de choses pour occuper notre vie sans aller la remplir des ruines du passé ; ce n’est pas que l’archéologie et la recherche historique ne soient de nobles occupations, des sciences absolument indispensables ; non, certes, car sans elles il n’y aurait que ténèbres autour de nous ; la connaissance et le progrès de l’art seraient impossibles, de même que la conduite des affaires humaines ;