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vail des mineurs va rendre très-douce, sur le dos du promontoire au bas duquel passait autrefois une seule rue étroite, la rue St. Paul, qui se baignait presque dans la rivière St. Charles. Là se trouvait, il n’y a pas plus de trois ans, un affreux corps de garde, sale, noir, hideux, repoussant, qui a été abattu en même temps que le rempart a baissé ; maintenant, cet espace est nettoyé, délivré, devrais-je dire, ouvert au grand air, et la vue s’étend librement sur toute la vallée de la rivière St. Charles et les montagnes qui s’échelonnent en arrière, jusqu’à l’horizon qui les confond avec le ciel.

Cependant, il y a des gens qui regrettent l’infecte corps de garde et la misérable porte du Palais qui laissait à peine passer voiture par voiture, péniblement traînée par un cheval haletant, essoufflé, morfondu à mi-côte, qui faisait le double du chemin en plongeant dans les cahots, tournant les bosses, biaisant, longeant, qui avançait d’un côté, qu’on ramenait de l’autre, qui montait en zigzag comme si on l’eût tirebouchonné du bas en haut, et qui, lorsqu’il était arrivé au haut de la côte, chance qu’il n’avait pas toujours, restait tout roide, étiré sur ses pattes, et la queue aplatie.

On ne saurait croire jusqu’où certaines personnes poussent le goût des antiquités. Il suffit qu’une chose soit décrépite, bien salie, bien déchiquetée, bien ratatinée, nauséabonde et informe, mais qu’elle ait cent ans, pour qu’elles la pressent sur leur cœur. C’est là une passion comme une autre, mais heureusement la plus ridicule de toutes, car si la passion pour le beau fait faire bien des folies et bien des bêtises, que doit-on attendre de la passion pour ce qui est laid, et vieux par dessus le marché ? On tombe assez souvent à ce sujet dans une confusion grotesque ; on prend aisément pour l’amour de l’antique une monomanie puérile qui s’exerce incessamment