Page:Buies - L'Outaouais supérieur, 1889.djvu/79

Cette page a été validée par deux contributeurs.
81
L’OUTAOUAIS SUPÉRIEUR

Mais la véritable valeur des forêts, ce qui leur donne un juste droit à notre considération, ce n’est pas autant leur capacité productive, quelque grande qu’elle puisse être, que le pouvoir qu’elles ont de protéger la surface du sol, de régler le cours des rivières, de modifier la température et de retenir,

    fructueuse et profitable, au lieu de la laisser n’être qu’une pure dévastation, qu’un véritable brigandage, comme elle l’est aujourd’hui. Plus d’un commerçant de bois éclairé sur les véritables intérêts et sur l’avenir de l’industrie qu’il exploite, reconnaît aujourd’hui cette vérité et n’hésite pas à la proclamer. Le colon, au lieu d’être pour lui un ennemi traditionnel, ou du moins un obstacle, lui est un secours précieux. Il le dispense en effet d’entretenir ces fermes dispendieuses, qui sont nécessaires dans toutes les grandes exploitations forestières, pour alimenter sur place des armées de bûcherons, des chevaux, des bestiaux, des moutons, et des porcs en grand nombre. Il le dispense de tenir et de conserver un outillage ruineux, en rapprochant de lui les produits indispensables à son exploitation, en diminuant leur valeur de plus de la moitié, en plaçant sous sa main un travailleur à bon marché pour l’abattage des arbres, pour l’équarissage et le transport des billots, pour la manufacture même du bois, lorsqu’il y a des moulins sur les lieux, toutes choses qui coûtent énormément cher, quand il faut faire venir de loin des centaines d’hommes et tous les articles de consommation qu’une grande ferme au sein des bois est insuffisante à produire.

    On voit donc qu’il y a corrélation intime entre la colonisation et l’exploitation forestière, au lieu d’antagonisme ou d’hostilité naturelle. Il y a plus ; il y a règlementation et équilibrement de l’une par l’autre, ce qui est au profit du public et ce qui assure la conservation de nos forêts, tout en développant sans limite le domaine cultivé.