Page:Buies - L'Outaouais supérieur, 1889.djvu/31

Cette page a été validée par deux contributeurs.
33
L’OUTAOUAIS SUPÉRIEUR

avec quelle vitesse ! Un seul homme peut-être alors connaissait toute la portée de cet événement sans aucune importance apparente, parce qu’il l’avait longtemps préparé d’avance, parce qu’il en avait mesuré, lentement et mûrement, les développements futurs. Ce petit chemin de fer, modestement appelé « de colonisation », et qui allait de la métropole commerciale à Saint-Jérôme, était l’œuvre du curé Labelle, de cet homme qui, depuis plusieurs années, travaillait obscurément, mais avec une ardeur, avec une ténacité, avec une force et une activité de géant, à reculer les limites habitables de la province et à peupler des solitudes.

Avec le chemin de fer de Saint-Jérôme s’ouvrait, à quelques lieues en arrière de Montréal, une région encore presque inconnue, à peine défrichée, portant une physionomie farouche et l’empreinte des sueurs des colons courageux et dédaignés qui avaient entamé la lisière des forêts, regardées comme inaccessibles. Le Nord, c’était alors la région interdite, fermée à toute entreprise de colonisation et même d’habitation, condamnée à l’immuable repos de la stérilité, et dont l’imagination même n’osait interroger les lointaines et ténébreuses profondeurs…

Les années passèrent. Le Nord apparut sans son cortége obligé de glaces et sans la physionomie rébarbative que lui donnait la légende. Une fièvre intense