avaient leurs femmes, d’autres allaient rejoindre leur famille ; moi j’étais seul et je quittais tout, peut-être pour ne jamais revenir. À cette heure terrible, je sentis l’immense vide créé subitement dans mon existence. Je montai dans le Pulman car et pris mon siège ; devant moi une femme pleurait, je la regardai stupéfait : il me semblait que dans le monde entier il n’y avait qu’une douleur comme la mienne qui pût tirer des larmes. J’avais la passivité muette et dure d’une résignation fatale ; dès lors que je perdais tout ce qui m’était cher, que m’importait, ce qui pouvait m’arriver ? Je regardai le ciel où remonte toujours l’espérance, de celui-là même qui va mourir ; il sembla se détourner de moi ; de longs nuages ternes remplis de bruine le parcouraient comme des crêpes déchirés ; le même ciel, je l’avais longtemps regardé deux jours auparavant, mais il flottait alors sur la patrie ! Autour de moi pas un visage connu, pas une âme qui pût approcher de la mienne ; je me tenais là, dans ce car qui allait m’emporter à mille lieues, sans mouvement, plongé dans l’horreur sombre de mon sacrifice. J’allais donc passer toute une semaine en chemin de fer, sans entendre une parole amie, et chaque nouvelle étape agrandirait encore l’abîme que je mettais entre mon pays et moi ! Je n’avais pas une espérance possible, puisque moi-même je me condamnais sans retour… Alors je voulus murmurer l’adieu suprême, mais mon cœur trop chargé de sanglots était monté jusqu’à mes lèvres ; je n’eus pas une parole, et la source bienfaisante des larmes arrivant comme un flot trop pressé, trop violent, refusa de jaillir.
Il est dans la vie de ces heures funèbres que l’on ne saurait décrire ; tout disparaît devant soi et le regard interroge en vain un monde qui n’a plus ni lumière, ni horizons : on