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VOYAGES.

Je m’étais dit en commençant mon voyage qu’il m’était impossible de faire huit jours continus en chemin de fer, et que j’arrêterais à différents endroits sur la route. Chicago, la superbe et glorieuse métropole de l’Ouest, se présentait à moi ; sans doute j’allais bien y rester au moins vingt-quatre heures. Mais à peine y étais-je descendu qu’un besoin irrépressible d’en sortir s’emparait de moi. Que peut offrir la vue des grandes villes au regard fatigué de merveilles ? J’ai tout vu dans ce monde et je ne puis plus rien admirer. Que m’importe le spectacle de l’activité humaine, de cette âpreté fiévreuse qui accomplit des merveilles dont l’âme est absente ? De grandes rues, de splendides édifices, eh bien ! quoi ! Tant de morceaux de pierre, tant de morceaux de brique, tant de ciment et de pavé Nicholson, tant de machines humaines qui s’agitent à la poursuite folle du souverain million, voilà les villes américaines. — Dans tout cela pas un souffle ; les plus grandes pensées, les plus grandes aspirations de notre temps réduites à une jauge pratique qui leur enlève toute poésie et toute grandeur ; des affaires, des affaires, business, et, après, des délassements automatiques, toujours les mêmes ; pas de liaisons ; est-ce qu’on a le temps de faire des amitiés quand on ne s’en donne pas même pour les besoins essentiels de la vie ? Et puis, connaît-on même l’ami qu’on voudrait se faire ? D’où vient-il, qu’a-t-il été ? Dans ce tourbillon d’êtres humains qui arrive et se déplace à chaque instant, sur qui peut-on arrêter sûrement son regard et appuyer sa confiance ? Qu’on admire si l’on veut des villes comme Chicago qui se font en trente ans, il est impossible d’y rien aimer. Ce ne sont pas deux ou trois mille tueurs de cochons, logés dans le marbre et chiffrant de quatre heures du matin à six heures du soir, qui peuvent inspirer un grand enthousiasme. Pour moi, j’en veux à toutes les