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VOYAGES.

elle est dans la feuille solitaire sur sa branche inanimée ; elle est dans la goutte de rosée qui la rafraîchit, elle est encore dans la larme silencieuse qui s’échappe du cœur et c’est par elle que le cœur renaît.

Quelle étrange destinée ! Je fais onze cents lieues de chemin de fer, avec l’idée que jamais peut-être je ne reviendrais, et, rendu au terme de ce long et accablant voyage, malade, affaibli de corps et d’esprit, à peine avais-je pris quelques jours de repos, que je préparais déjà mes malles pour le retour ! Je n’ose dire que j’ai fait un voyage : j’ai été emporté dans un ouragan, et le même ouragan m’a ramené. Seulement, l’allure n’était plus la même ; je vais tout vous dire cela.


II.


Je partis seul. Or, pour partir seul, dans l’état physique et moral où je me trouvais, c’était déjà un acte de désespoir ou de résolution inflexible. J’ignorais ce que c’était que ce voyage et je me flattais d’en adoucir la fatigue et l’ennui par le spectacle d’une nouveauté sans cesse renaissante, par la fascination d’un inconnu qui, à chaque instant, changerait d’aspect. Tous mes amis m’avaient entretenu dans cette