Page:Buies - Chroniques, Tome 2, Voyages, 1875.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.
59
CHRONIQUES

Aux étrangers qui admirent nos cours d’eau abandonnés à leur repos éternel, nos riches mines inexploitées, nos vastes étendues sans communication, et qui s’étonnent de ce spectacle au sein d’une nature où tout invite au travail, au déploiement libre de toutes les forces humaines, nous répondons avec un légitime orgueil : « Eh quoi ! que voulez-vous ? Nous avons la patience !… »

Aussi loin que je puis porter mes souvenirs, depuis les bancs du collège jusqu’aujourd’hui même, chaque fois qu’un progrès était signalé comme nécessaire, un pas en avant comme indispensable, l’écho de ce dicton m’est arrivé de toutes parts : « Pourquoi se presser ? Nous sommes jeunes, attendez donc… »

Sans doute, messieurs, il est fort agréable de s’entendre répéter souvent qu’on est jeune et qu’on a devant soi le grand avenir ; mais… les canadiens ne sont pas tous de jolies femmes qui ne veulent pas vieillir à aucun prix ; à force de recevoir toujours le même compliment on finit par le trouver fade, surtout, lorsque, sous prétexte de jeunesse, nous sommes menacés d’une tutelle indéfinie, ou, si vous voulez, d’une dépendance qui s’affirme d’autant plus que nous grandissons davantage, et que le Dominion menace de s’élancer jusqu’au Groënland.

À quoi sert de répéter sans cesse que le Canada est un pays jeune et que nous avons bien le temps de progresser ? À ce compte, le Canada sera un pays jeune dans trois cents ans d’ici, bien plus jeune qu’aujourd’hui encore, parce qu’il aura été vidé des trois-quarts.

Messieurs, songez-y bien. Voilà 265 ans que les Canadiens sont jeunes, à supposer que nous comptions du jour où Champlain fonda Québec, et 339 ans du jour où