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CHRONIQUES

Mille illusions, mille puérilités charmantes nous enveloppent dans leurs douces cajoleries, et nous ne songeons pas que c’est le beau temps de notre existence comme nation que nous dépensons de la sorte dans le dédain de nos facultés les plus viriles. Eh quoi ! n’est-ce pas lorsqu’on est jeune, alerte, fort, qu’on doit pousser de l’avant, et faut-il attendre que nous soyons perclus, brisés par les rhumatismes, à moitié sourds et déjà grognards, pour nous élancer dans ce vaste espace ouvert à toutes les races du monde et où nous devrions prendre la place proéminente qui est dûe à la grande nation dont nous personnifions en Canada le caractère et le génie ?

Messieurs, une de nos grandes qualités, celle qui vraiment prime toutes les autres et les efface presque par son intensité, c’est la patience. Cette qualité, qui n’a pas de hauteur, mais beaucoup de longueur, semble essentiellement nationale ; elle est même l’image fidèle du Dominion qui est démesurément allongé. Un vieux proverbe dit que la patience est la vertu des nations. À ce compte, nous sommes le plus vertueux peuple qui fût jamais ; nous avons même tant de vertu que nous oublions d’avoir beaucoup d’autres choses.

Je ne saurais établir devant vous jusqu’à quel point nous avons de patience pour supporter, supérieurement aux autres peuples, les maux privés, mais, à coup sûr, nous en avons merveilleusement pour supporter les maux publics. La réforme, qu’elle qu’en soit la nature, nous épouvante, et nous avons un goût obstiné pour le statu quo, ce qui est pousser le conservatisme aussi loin que les Égyptiens qui s’étaient fait un culte des crocodiles, et qui voulaient transmettre leurs momies à tous les peuples futurs.