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CHRONIQUES

rattachent toutes à un grand fonds de qualités solides sans lesquelles nous ne serions pas ce peuple durable, vigoureusement trempé, dont les rameaux s’étendent sur le sol de l’Amérique entière, qui a trouvé moyen de faire aux États-Unis ce que les désavantages de sa position et l’ingratitude de son climat lui refusaient dans ses propres foyers. Sans la religion du passé et sans cette ténacité à nous maintenir intacts, nous ne serions pas en effet ce peuple exceptionnel qui trouve à répandre, dans les innombrables rameaux qu’il projette en tous sens sur ce vaste continent, autant de sève et de force qu’il en conserve dans le tronc même de l’arbre. Sans nous, les États de l’ouest et ceux de la Nouvelle-Angleterre manqueraient des meilleurs bras qu’il faut à leur industrie. Sans ce mélange d’amour-propre national qui nous rassemble en un faisceau, et d’esprit d’aventure qui permet de nous disséminer dans toutes les directions sans rien perdre de notre caractère, nous ne serions pas ce peuple vraiment indispensable aujourd’hui pour l’équilibre des conditions sociales faites à l’Amérique. Sans nous, tout irait à la vapeur et tout s’userait vite ; mais nous tempérons l’entraînement du Go a head, et nous maintenons la machine sociale dans un fonctionnement plus tranquille qui ménage ses forces.

Les américains sont déjà vieux à notre âge ; ils ont tous les défauts d’un excès de croissance ; nous, nous avons peut-être les défauts d’une adolescence trop prolongée, nous nous complaisons dans cette idée de jeunesse qui paralyse nos forces, sous prétexte que nous avons bien le temps de les utiliser ; nous nous endormons dans notre berceau, sans songer que le temps marche pendant que nous rêvons, et qu’au réveil nous ne sommes déjà plus de notre époque.