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CHRONIQUES

deur de l’architecture antique, des parcs en perspective et des expropriations en quantité, une vie sociale singulièrement modifiée dans ses allures et dans son caractère ; le Grand-Tronc arrivant jusque sur les quais, quand il avait autrefois toutes les peines du monde à se rendre à la gare Bonaventure, cette magnifique construction qui n’excite pas l’enthousiasme du voyageur, parce qu’il en a trop dépensé dans le tunnel du pont Victoria ; un hâvre s’élargissant comme la pieuvre et qui va bientôt dévorer l’île Ste. Hélène, imprenable par les Américains, mais sans défense contre votre irrésistible esprit d’entreprise ; des palais construits par les banques et habités par des gens excessivement recherchés ; des institutions nombreuses, presque toutes florissantes, et d’autres qui promettent de le devenir, tels que le haras national et la culture de la betterave ; un raffinement de vie, de richesse et de luxe qu’on n’eût jamais soupçonné au temps où, pour 20 cents, les cochers nous faisaient faire un mille à minuit ; des médecins, des avocats qui ont été étudiants et qui aujourd’hui nagent dans le vil métal, quand, il y a cinq ou six ans, ils allaient à pied sec sur des gués qui semblaient n’avoir pas de fin ; un temple épiscopal qui vont emprunter à St. Pierre de Rome le secret de sa grandeur et de son immortalité ; tout, tout enfin a changé, Montréal a secoué ses ailes, il a jeté dans l’espace la poussière de ses langes et s’est élancé d’un bond vers l’avenir, comme ces jeunes lions qui sentent autour d’eux l’immensité du désert et qui veulent le conquérir.

C’est un étrange et beau spectacle vraiment que celui de cette ville, de cette unique ville de la province s’affranchissant de l’apathie et de l’espèce d’engourdissement irrémédiable où le reste du pays semble vouloir s’éterniser,