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CHRONIQUES

Aussi, quels effets produit-elle ? elle multiplie les crimes, car rien ne séduit plus que l’espoir d’un acquittement, quand on sait qu’une peine n’existe que dans la loi et qu’elle répugne à ceux qui l’appliquent. Cette situation est profondément immorale, comme tout ce qui est composite et se contrarie en matière de principes. L’exécution est une chose si horrible que chaque fois qu’un homme a commis un crime atroce, évident, et qu’il ne peut échapper à l’échafaud, l’opinion s’émeut en sa faveur ; on le représente comme une victime, on provoque des sympathies insensées qui ont le triste résultat de faire oublier le crime, et de pervertir le sens moral. Chacun acquitte le criminel au fond de sa conscience, et s’insurge ainsi moralement contre la loi. Il y a conflit entre la justice naturelle et l’autorité ; il faut entourer le gibet de troupes ; il faut arracher le condamné à une pitié menaçante, et risquer de finir par la violence ce qu’on a commencé avec toutes les apparences du droit.

Rien n’est plus facile, je le sais, rien n’est plus expéditif que de se débarrasser d’un criminel en le suppliciant. Aux temps où la justice n’avait pas de règles certaines, où les notions en étaient inconnues, oblitérées sans cesse par l’arbitraire qui gouvernait les peuples, comme au moyen-âge ; aux temps où la violence était une maxime sociale, et que le combat s’appelait le jugement de Dieu, je comprends que l’on cherchât le moyen le plus simple et le plus prompt pour rendre ce qu’on appelait la justice. Il n’y avait pas alors d’institutions qui réformassent le criminel ; on ne songeait pas au perfectionnement des sociétés. Dans un état de violence, il ne fallait pas chercher le calme et la réflexion qui conduisent aux saines idées philosophiques ; il ne fallait pas chercher la justice là où la force s’érigeait en droit, et s’affirmait