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CHRONIQUES

métier de tuer tes semblables, est-ce à tes semblables de te serrer la main ? » Ah ! c’est en vain qu’on invoque un droit, impie et une loi qui le consacre ; la nature et la vérité sont plus fortes que lui ; le sentiment universel l’emporte sur cette justice de fiction qui autorise le meurtre, parce qu’il est légal, et parce qu’il porte le nom de châtiment. La justice, la vraie justice, celle qui est au fond des cœurs, et que les codes n’enseignent pas, proteste contre le crime sous toutes les formes, et flétrit le bourreau par la haine et le mépris, ne pouvant pas l’atteindre avec les armes de la loi.

Qu’on n’invoque pas la parole du Christ : « Quiconque frappe avec le glaive périra par le glaive. » La morale du Christ, toute d’amour et de pardon, n’enseigne pas la représaille. En parlant ainsi, Jésus n’avait d’autre idée que de prouver que la violence attire la violence ; il ne voulait pas instituer par là tout un système de représailles sociales, ni consacrer le meurtre juridique. Il connaissait trop le prix de la vie humaine, lui qui était venu pour sauver les hommes ; et s’il souffrit d’être exécuté lui-même, c’était pour offrir, du haut du calvaire, une protestation immortelle contre l’iniquité de la peine de mort. Si la violence attire la violence, comment peut-on appliquer cette vérité lugubre à la société qui tue froidement, sans passion, sans haine, et au nom d’une justice qu’elle méconnaît ? Ces paroles du Christ, on ne les a pas comprises, et l’on a fait de la méconnaissance d’une triste vérité le fondement d’une continuelle injustice.

La peine de mort comme tous les principes dont on commence à reconnaître la fausseté et le danger, a d’affreuses conséquences. On la maintient malgré les mœurs, malgré les protestations de la conscience publique et des esprits éclairés.