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CHRONIQUES

de vrais Français, venus de France, et qui n’ont pu nous transmettre un langage plus pur, plus en usage que celui-là même qu’ils avaient appris. Mais j’entends ! c’est en Canada, pays privilégié, favori de la Providence, que la langue française a revêtu cette pureté idéale qui nous étonne nous-mêmes et nous ravit, quand nous daignons nous comparer aux barbares français. C’est depuis que nous sommes enveloppés d’Anglais et d’Irlandais, comme noyés au milieu d’eux, obligés de nous servir à chaque instant de leurs mots propres pour toutes les branches de l’industrie, du commerce et des affaires ; c’est depuis que nous avons perdu jusqu’au dernier reste des habitudes domestiques et des coutumes sociales de la France, depuis que son génie s’est retiré de plus en plus de nous, que nous en avons épuré, perfectionné de plus en plus le langage ! Ce qui serait une anomalie partout ailleurs devient, dans un pays étonnant comme le nôtre, où l’on voit les enfants en montrer à leurs pères, une vérité tellement évidente qu’on ne sait pas comment la prendre pour la combattre.

Un tel prodige a tout l’attrait du merveilleux, et voilà pourquoi tant d’esprits assez sérieux au fond, assez raisonnables, s’y sont laissé prendre. Le merveilleux ! voilà encore un préjugé. Il n’y a rien de merveilleux ; c’est notre ignorance qui crée partout des prodiges, et, ce qui le prouve, c’est que le plus grand des miracles aux yeux d’un étranger ignorant de toutes nos perfections, n’est pour nous qu’un fait banal, depuis longtemps reconnu.

Étant admis que nous parlons un français qui ferait rêver Boileau, je me demande pourquoi nous consentons à y mêler un tel nombre d’expressions, absolument inconnues, même des anglais de qui nous prétendons les tirer, mais en les arrangeant à notre façon.