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le dernier mot.

jours réelle, qui hâte pour lui l’heure solennelle où il doit devenir un être tout différent, tout nouveau. Il lui suffit de sept années pour se renouveler entièrement, après quoi il ne reste plus une seule fibre, une seule molécule de ce qui constituait auparavant son organisme. À chaque instant il a perdu et gagné de la matière ; pas une seconde de la vie où il ait été absolument lui-même, si ce n’est par la pensée, par la conscience individuelle qui le sépare du reste des hommes.

Eh bien ! qu’est-ce que c’est que la pensée ? C’est la seule chose grande qu’il y ait en nous. Par la pensée l’homme est au dessus et plus grand que tous les mondes réunis, et il y en a des milliards de milliards auprès desquels la terre n’est pas même comme un grain de sable. Par la pensée l’homme embrasse en un instant tous les astres qui parcourent des millions de lieues par seconde dans l’univers infini. Si l’immensité n’a pas de bornes, il n’en existe pas non plus pour la pensée humaine qui la conçoit et qui peut s’élever à toutes les hauteurs, se répandre dans toute l’étendue. Que dans un être qui n’est rien, il y ait une chose qui soit plus grande que tout ce qui existe, voilà la merveille ! On reste confondu, éperdu, devant l’inanité de tout le reste.

Sait-on bien qu’il meurt, par semaine trente-cinq millions de créatures humaines ? Calculez le total que cela fait au bout de trois cent soixante jours, et voyez la folie des hommes qui saluent la nouvelle année. Le tour de chacun viendra, et ce qui serait risible si ce n’était lugubre, c’est le mal que chacun se donne pour échapper à ce qui est inévitable. Tout passe, et l’immortalité même du génie repose sur la plus fragile des bases, sur le souvenir des