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le préjugé.

éclate ; mais on arrive presque toujours en se servant de sa raison, tandis que, par le juste milieu, on n’arrive jamais à rien.

Cet axiôme, cependant, tout stupide qu’il est, a la prétention d’être sage ; être sage, c-à-d. être ni l’un ni l’autre. Il est surtout en grand honneur parmi nous, peuple de gens modérés, s’il en est. Et en quoi, je vous prie, le milieu est-il plus juste que les extrêmes ? Je voudrais bien savoir comment, flottant entre deux erreurs, je les rectifierais et je trouverais la vérité en me plaçant exactement entre elles deux. Ayez horreur du juste milieu comme de l’eau tiède ; soyez extrêmes ; il vaut mieux être complètement dans l’erreur que de traiter la vérité comme si elle se partageait. Ceux qui la traitent ainsi ne l’aiment pas, ne la cherchent pas, et ne peuvent ni la trouver ni la défendre.



Il y a un autre préjugé passablement ridicule et injuste, familier surtout aux gens de collège, ce qui n’empêche pas qu’il se répande aussi beaucoup dans le monde : « Un tel a beaucoup d’esprit, ou d’imagination, ou de mémoire, donc il n’a pas de jugement. »

Cette manière d’exclure la raison chez les hommes brillants me paraît un peu péremptoire. Parce que vous avez des dons agréables, il faut absolument que vous n’en ayez aucuns de sérieux ! C’est bizarre et c’est prétentieux que de vouloir réformer ainsi l’œuvre de la création. Je ne sache pas, pour moi, que les facultés de l’esprit s’excluent entre elles, je ne vois pas qu’un homme d’un bon juge-