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le préjugé.

souveraine se donnaient-ils presque tous une origine divine ; les uns, même, se disaient fils de dieux et l’obéissance qu’ils réclamaient tenait du culte ; d’autres prétendaient simplement exercer leur autorité en vertu d’un droit divin, d’une délégation directe de la divinité qui avait fait choix pour chaque peuple d’un homme unique et lui avait départi, à lui et à ses descendants, la possession absolue et éternelle de ce peuple.



Il ne reste plus rien aujourd’hui de ces tristes enfantillages qui ont coûté tant de larmes et de sang à bien des peuples ; et le préjugé, banni de la science, de la philosophie et de l’histoire, s’est réfugié dans les mœurs, dans les habitudes, dans les goûts, dans la conduite, gardant encore un empire considérable dans les lois. Son domaine est partout dans les actes de la vie et dans les usages de chaque peuple, et tant que les hommes auront de l’imagination, le préjugé sera souverain. Sans lui, que de choses déraisonnables, mais charmantes, que d’absurdités délicieuses disparaîtraient ! C’est à lui qu’on doit la plus grande quantité de poésie qui reste encore à la pauvre humanité : c’est à lui qu’on doit bien des héroïsmes et bien des dévouements qui font sourire la raison, mais qui exaltent et embrasent le cœur. Toutes les sublimes folies, qui produisent souvent de très-grandes choses, viennent du préjugé, et c’est pour cela qu’il se maintient, malgré tout le mal qu’il a pu faire en revanche.

Le préjugé, c’est l’illusion ; de là son charme, de là sa