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le préjugé.

Anomalie, contresens, dérèglement monstrueux, d’où vient qu’il est irrésistible ? Comment naît-il ? quelle est sa raison d’être et surtout de durer ? Pourquoi, lorsque la vérité est si facile, si accessible, à la portée de tous, pourquoi, lorsque le bonsens serait si commode, a-t’on recours à ce tissu de fictions, d’inégalités et d’injustices qui constituent le fond de toutes les sociétés humaines ? Pourquoi, lorsque la pente naturelle s’offre d’elle-même, ouverte devant tous, sûre et facile, préfère-t’on prendre mille détours, s’égarer dans toute espèce de sentiers épineux et pleins d’embûches ? C’est que l’homme, ce petit sot ridicule, ce fat incorrigible, veut toujours faire exception. Suivre la loi naturelle, ce serait être comme tout le monde devrait être, et il suffit que tout le monde doive être ainsi pour que personne ne le veuille.

Sortir du commun, c’est là la source de tous les travers, de tous les ridicules, disons le mot, de tous les préjugés. D’un homme seul, le préjugé gagne souvent un groupe, une classe, un peuple, un pays, des pays tout entiers. De là viennent une foule d’usages, de manières de faire, de juger, de se conduire, qui sont aussi détestables qu’insensés. Eh bien ! le croirait-on ? Sans toutes ces bêtises, érigées en autant de maximes sociales, en code d’habitudes et de rapports mutuels, l’homme ne serait pas gouvernable.



C’est la convention qui est la règle commune. On la met en axiôme, en proverbe, et, une fois devenue proverbe, qui oserait l’attaquer ? Un proverbe ! n’est-ce pas le ré-