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VOYAGES

donne. Laissez, laissez au moins la trace de votre fuite pour qu’elle éclaire les tristes années qui me restent ; l’ombre de ce qui fut cher a encore plus de clarté que l’éclat de l’espérance, de même qu’un souvenir heureux vaut souvent plus que le bonheur.

Qu’importe que vous soyez le passé ! Est-ce que des fleurs qui tombent ne sort pas le germe qui fécondera les plants nouveaux ? C’est à vous, à vous qui ne pouvez mourir, que je dois le meilleur, le plus vivant et le plus vrai de moi-même.

Lorsque je vous crus perdues pour toujours, je poussai un cri funèbre qui retentit dans bien des cœurs ; aujourd’hui je vous retrouve décolorées, pâlies, devenues à peine un fantôme de vous-mêmes, mais cela suffit désormais au fantôme de ce que j’ai été. Le passé qui s’échappe en laissant à l’homme une dernière illusion est une force de plus ; il s’y retrempe, il mesure l’étendue de ce qu’il a souffert, et, en se voyant sorti des épreuves, il conserve toute la confiance et toute l’énergie de l’attente.

Ô mon pauvre vieux Québec ! je te retrouve donc, toi que je croyais pouvoir fuir ; je te retrouve avec le parfum, avec le sourire encore empreint de tout ce que nous avons été l’un pour l’autre pendant quatre années ; je te retrouve, toi qui n’as pas une rue, pas une promenade, pas un jardin, pas un bosquet qui ne furent les confidents de mes solitaires rêveries et de l’épanchement intarissable de mon âme. Tu avais eu tout, tout de moi ; je t’avais même engagé l’ave-