Page:Buies - Chroniques, Tome 2, Voyages, 1875.djvu/220

Cette page a été validée par deux contributeurs.
222
VOYAGES

de gens arrivés depuis seulement quelques années et tous occupés d’affaires ; il faudrait qu’il se rappelât que j’étais seul, constamment seul, que de dix heures du matin à cinq heures du soir, la chaleur était telle que personne ne se montrait dans les rues, que je ne pouvais trouver aucun remède à mes embarras et qu’il me fallait attendre les mains liées, incapable de faire un pas, incapable d’une distraction quelconque, de la moindre petite promenade dans quelque endroit avoisinant, parce que je n’avais pas seulement vingt cents pour payer un omnibus, que j’étais comme emprisonné, sans raison apparente, depuis trois jours, dans une ville où les voyageurs n’arrêtent jamais plus de quelques heures, que ma soif constamment alimentée par une chaleur accablante, par l’inquiétude et par le mouvement incessant que je me donnais, était devenue insatiable, et que pour chaque verre que je prenais, il me fallait misérablement demander crédit, que tout cela devait sans doute commencer à paraître étrange au manager de l’hôtel qui, d’un moment à l’autre, pouvait me demander de l’argent, que mon humiliation grandissait déjà presqu’à l’égale de l’inquiétude, que je craignais presque de me montrer aux repas, qu’il me semblait que tout le monde lisait sur ma figure le dénûment profond où je me trouvais, que je n’avais absolument aucune ressource, de quelque côté que je me tournasse, pour sortir du cercle de fer qui m’étreignait : enfin, que je ne pouvais vivre, passer une journée que par l’espoir du lendemain qui sans cesse reculait.

« Si une heure d’attente expire lentement, » a dit le poëte, qu’est-ce donc que vingt-quatre heures d’une angoisse qui me laissait à peine quelques instants d’un sommeil douloureux ? Le mercredi vint ; ni message ni lettre encore. Je ne