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VOYAGES

Canada, notre pays ; c’est là un préjugé qui a parfois sa raison d’être ; mais, grands dieux ! qu’est-ce donc en comparaison d’Omaha ? Là, les mouches naissent d’elles-mêmes : c’est la génération spontanée dans toute sa liberté et sa puissance. Sous un soleil qui marque cent degrés et plus à l’ombre, au milieu de sables qui brûlent les pieds, dans une atmosphère que n’agite aucun souffle, elles s’épanouissent et flottent comme ces milliards de grains de poussière que fait apercevoir un rayon de soleil glissant tout à coup à travers les persiennes d’une croisée. Chaque hôte a devant lui, à table, un éventail qu’il secoue d’une main, tandis qu’il essaie de manger avec l’autre ; s’il s’oublie ou s’arrête un instant, les mouches auront couvert son assiette et bouché ses narines et ses oreilles. Les portes et fenêtres sont doublées de treillis extrêmement fins pour les empêcher de pénétrer dans les maisons, mais elles se forment d’elles-mêmes à l’intérieur et naissent pour ainsi dire sous les yeux. La nuit, l’obscurité les tranquillise ; mais dès qu’apparaît le premier rayon d’aurore, elles s’éveillent comme électrisées, dansent sur vos paupières, sur vos lèvres, dans vos cheveux, et commencent un bourdonnement qui, répété de chambre en chambre, de corridor en corridor, suffit à réveiller tous les hôtes à la fois. Ajoutez à cela que les nuits sont suffocantes et qu’il est impossible d’établir le plus léger courant d’air, même en tenant toutes les issues ouvertes.

Au sortir de table, je me demandai ce que je pourrais bien faire pour tuer le temps ; j’allai me faire raser et couper les cheveux, puis je repartis, en marchant droit devant