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VOYAGES

Comment les passerais-je, ces deux grandes journées ? Comment surtout passer le dimanche, ce jour fatal, toujours à l’affût, pour ainsi dire, de mes stations forcées sur la route, avec l’impatience fiévreuse qui bouillonnait dans mon sang, la hâte, la hâte brûlante d’en finir de cet exécrable voyage dont le terme venait encore d’être reculé ? La chaleur intense et le sable, sur lequel Omaha est bâti, m’envoyaient à la gorge comme des bouffées suffocantes qui me desséchaient le gosier. Il était, cependant, plus de six heures du soir ; j’avais une soif ardente, mais quoi boire ? De l’eau à la glace ? Il m’en aurait fallu un pot, et c’était peut-être mortel. Du reste, l’eau à la glace ne désaltère pas ; depuis Noé, tous les hommes savent à quoi s’en tenir là-dessus. Sur mon chemin, de minute en minute, paraissaient des saloons dont l’odeur me provoquait et m’attirait ; j’étais devenu comme furieux de soif ; le besoin le plus pressant était de la satisfaire…… J’avais gardé avec amour, avec religion, une pauvre petite montre bien modeste, mais pour moi d’un prix inestimable : je songeai que je pouvais la mettre en gage et que j’en retirerais quelques dollars qui me mettraient en mesure d’attendre le lundi. C’était un temps bien court, et, du reste, je pourrais la racheter si facilement !……… Je vis devant moi l’enseigne d’un prêteur sur gages : je m’arrêtai ; allais-je offrir à ce juif le dernier objet qui me rappelait des heures ineffaçables, pour toujours consacrées dans mon souvenir ? Il le fallait, c’était la seule ressource dont je pusse disposer ; j’entrai en pâlissant dans cette boutique cruelle où j’allais laisser ce qui me