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VOYAGES

guère expliquable. On ne pourrait jamais dire ce qu’il y a d’élasticité dans un poumon d’homme, il faut des épreuves pareilles pour être révélé complètement à soi-même ; mais, grand Dieu ! combien il est préférable d’avoir une constitution délicate et de succomber plutôt que de résister à une telle expérience !

Tout à l’arrière du train il y avait un petit car que je n’avais pas remarqué, grand environ comme la moitié des autres wagons, et où, pour soixante-quinze cents de plus par nuit, on avait droit de s’allonger sur une espèce de banquette bourrée et couverte en cuir de rhinocéros. Il y avait huit banquettes semblables, probablement toutes plus dures les unes que les autres ; je ne voulus pas en essayer une seconde nuit ; je craignais qu’il ne me rentrât dans le corps quelque mâchoire de crocodile ou quelque tibia d’éléphant. Dans ce petit car, réservé à l’aristocratie des émigrants, il y avait pour boire une eau tiède, couleur de vase, et pour se laver une petite terrine en ferblanc, dans laquelle tour à tour cinq ou six allemands de haute origine vinrent se plonger le museau en se servant de la même serviette, qui n’était autre chose, je crois, qu’un restant de voile de navire désemparé. Je n’étais pas encore parvenu à ce degré de communisme et, du reste, à raisonner juste, je ne voyais pas pourquoi je me fûsse sali davantage.

Vous ne savez pas, lecteur, ce que c’est que de passer près de deux jours dans un état pareil. Je ne pouvais