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MORITURI MORTUO.[1]

(Ceux qui vont mourir à celui qui n’est plus.)


Avant-hier matin, un télégramme de deux mots annonçait tout-à-coup la mort de Lucien Turcotte, l’ami, le compagnon de toute la jeunesse de notre ville. Pas d’autre détail. Il s’est éteint sans doute doucement, sans agonie, après une maladie qui, depuis près d’un an, le conduisait à pas comptés et certains vers le tombeau ; sans effort, comme sans lutte peut-être, il a franchi l’obstacle suprême qui sépare l’homme de l’éternité.

Aucun de nous ne pouvait être près de lui ; aucun de nous n’a pu apprendre à mourir de celui dont la vie avait été pour tous un exemple. Jusqu’au dernier moment nous avions espéré, quoique le dénouement fatal fût presque certain : on ne peut pas croire que la mort soit inexorable pour la jeunesse et qu’elle abatte la force brillante comme elle enlève d’un souffle les existences flétries. Mais maintenant elle a fait son œuvre. — Nous avions pensé toujours qu’au moment de livrer le combat de la dernière heure, elle reculerait devant ce jeune homme de vingt-sept ans, armé contre elle de toutes les promesses de l’avenir ! nous pensions qu’elle serait arrêtée violemment devant cet âge à qui la nature apporte tout-à-coup, dans les crises suprêmes, une force inconnue et des ressources mystérieuses.

Mais pour la mort, rien n’est sacré ; pour elle la jeunesse, le talent, la vertu n’ont pas de privilèges : sous son terrible

  1. Sur la mort de Lucien Turcotte, arrivée le 12 Janvier.