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VOYAGES

bohu bizarre où s’accomplirent tous les actes ordinaires de la vie ; j’omettrai des détails pour le lecteur qui n’est pas trop avide. Déjà quelques-uns ronflaient, d’autres étaient littéralement encaissés dans des échafaudages de paquets, de boîtes et de paniers de provisions. Ils fumaient, ils crachaient ; ils suaient, ce qui était bien pire. Ces bons allemands étaient tous vêtus, sous une température de cent degrés, comme nous le sommes en hiver, avec des pantalons, des vestes et des gilets de grosse laine, et jusqu’à des cache-nez, oui, de véritables cache-nez roulés deux ou trois fois autour du cou, et dont aucun de ceux qui les portaient n’avait encore songé à se défaire. Tout cet amas de laine, entassé sur des corps fondants, s’en était rapidement pénétré et se dissolvait dans l’atmosphère du car avec une liberté que rien ne gênait, si ce n’est la concurrence que faisaient les émanations de bottes, de saucissons et de jambons presque confondus ensemble. Il y avait là un parfum que Dante n’eût pas dédaigné pour un des cercles de son enfer ; et remarquez bien qu’il y en avait pour quarante heures de ces émanations teutonnes sans autre remède que de s’établir sur la plateforme du car, ce qui était se mettre entre deux courants également chargés ; les bœufs en arrière et les allemands devant, il n’y avait pas d’échappatoire possible et l’on était fatalement asphyxié.

Ah ! je la connais aujourd’hui, l’odeur tudesque, et je m’explique bien des désastres de l’armée française dans sa dernière guerre. Combien de canons « Krupp » ont dû être chargés de bottes de fantassins ! C’est là une statistique qu’il serait curieux de relever et qui amènerait peut-être d’étonnantes révélations.

Je ne suis pas mort, non, c’est évident, mais ce n’est