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VOYAGES

river à Omaha quatorze heures avant moi. Et puis, je pensais que si, au lieu de me faire voler vingt dollars, je les avais encore en ma possession, j’aurais pu me rendre jusqu’à Chicago et me rapprocher ainsi de cinq cents milles de plus ! On va voir par la suite de ce récit qu’elle différence énorme cela aurait fait, mais je ne m’en doutais pas alors… Il fallait que j’épuisasse toutes les fatalités ennemies dans ce voyage qui, même en le supposant le plus heureux du monde, restait dépourvu pour moi de tout attrait et de tout contentement moral.

Le convoi que je montais ne contenait pas moins de cinq wagons remplis d’allemands et d’allemandes en cherche d’une nouvelle patrie, plus deux wagons pour les bœufs, un wagon de fret quelconque et un car à bagages. Je pris place entre les allemands et les bœufs, à l’extrémité du cinquième wagon.

Quand mes compagnons de voyage se furent installés comme moi, ils commencèrent, les uns à défaire leurs paquets, les autres à semer sur les banquettes de bois toute espèce d’effets mêlés de comestibles ; d’autres se déchaussèrent, dépouillèrent leurs épaules d’épais gilets pour les mettre sous leurs têtes, d’autres enfin se firent un oreiller de leurs femmes en allongeant les jambes sur leurs voisins. Les têtes et les pieds formaient une ligne à peu près horizontale, un niveau remarquablement uniforme, avec peu de différence d’aspect ; ces têtes carrées d’allemands sont, en effet, comme des talons de bottes.

Deux heures environ se passèrent au milieu d’un tohu