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VOYAGES

malle que j’avais dépaquetée seulement quatre jours auparavant……… Mais tout-à-coup une question terrible se dressa devant moi, question à laquelle je n’avais pas songé dans le premier transport, fantôme menaçant qui me suit toujours en voyage et même souvent me harcèle au repos.

Rapide comme l’éclair, ce fantôme fondit sur moi…… J’avais seulement 90 dollars en greenbacks, et il en fallait 150 en or, rien que pour payer le chemin de fer, et une cinquantaine de plus pour pouvoir partir de San-Francisco et me nourrir en route. Déficit net, $130, et j’allais partir ! Alors, je rentrai profondément en moi-même ; c’est toujours comme cela qu’on fait lorsque l’argent manque. Il me fallait des ressources immédiates et je ne connaissais personne. Chaque jour de plus passé à San-Francisco m’aurait épuisé davantage. Je m’arrêtai à ce plan-ci, qui n’est pas absolument neuf, mais qu’il faut toujours répéter dans des circonstances semblables.

J’avais emporté en quittant le Canada, avec l’idée que je n’y reviendrais pas de sitôt, toute une malle supplémentaire contenant les restes d’une prospérité relative. Il y avait là des trésors d’habillement et de chaussures, peut-être modestes en Canada, mais d’un prix réel dans la Californie où tout est si cher à l’exception des vivres et des liquides. Pour la première fois depuis mon départ, j’entr’ouvris cette malle respectable où s’étageaient chaudement les plus nobles pièces de ma garde-robe, surmontées d’une rangée de talons qui avaient l’air de vouloir les protéger.