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VOYAGES

les choses de ce monde, ne trouvant aucun intérêt aux plus grands événements, rongé d’ennui et cependant fuyant les distractions avec une sorte de terreur, regardant la foule se porter aux théâtres, à l’opéra, aux cafés, mais sans aucune envie de l’y suivre, mangeant à mon hôtel afin de dérober au temps vingt minutes deux ou trois fois par jour, puis repartant aussitôt, seul comme j’étais arrivé, sans dire une parole à qui que ce fût. Pour moi les hommes qui m’entouraient n’étaient plus des hommes, et ce que j’entendais dire regardait un autre monde. On m’a demandé depuis si les femmes de San-Francisco sont belles ; je n’en sais rien, je ne me rappelle pas même en avoir vues, mais ce que je sais, c’est qu’au bout de quatre jours passés de la sorte, la fièvre de mon cerveau était devenue si intense, si brûlante, qu’il me fut impossible de résister plus longtemps. En un clin-d’œil je résolus de retourner au Canada, comme une heure m’avait suffi pour me décider à en partir.

Je courus à mon hôtel frémissant d’impatience. Je ne me contenais plus. J’allais donc revoir mon Canada, mon beau St. Laurent qui n’a pas son égal au monde — je le sais maintenant que j’ai vu le Mississipi qui n’est qu’une guenille serpentante et le Missouri qui n’est qu’un grand égoût boueux. — J’allais retrouver ma famille, mes places d’eau, mes amis qui me riraient au nez en me serrant dans leurs bras, j’allais revoir tout cela, et avant deux semaines peut-être, moi qui n’étais parti que depuis quinze jours ! Était-ce croyable ? Je sautais dans ma chambre en préparant la