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VOYAGES

sens qu’à l’étranger ; ils vous parlent ; ce sont de vieilles connaissances intimes, habituées à vos rêveries et à vos confidences. Ainsi, les bois qu’on a vus dès l’enfance gardent comme un parfum de notre âme ; en eux nous nous sentons vivre et ils prennent de nous tous les jours quelque chose ; chaque rue de la ville natale est pleine de souvenirs aimés ; les pierres elles-mêmes nous parlent ; il n’y a rien qui soit indifférent et presque tout nous y est cher. Les amis sont un trésor dès longtemps acquis, que les circonstances et les orages de la vie peuvent nous dérober parfois, mais qu’on retrouve toujours tôt ou tard. À l’étranger, au contraire, les plus belles choses restent muettes, sans couleur, sans expression, sans une pensée pour soi ; on les regarde et on les admire peut-être, mais on ne les sent pas ; notre cœur n’est pas avec elles et on les quitte sans leur donner un regret, sans même songer qu’on les a vues. Rien ne peut remplir le vide qui s’est fait dans l’âme, qui grandit sans cesse et qui enlève le goût des choses les plus attrayantes. L’homme n’existe en vérité que par le cœur ; c’est le cœur qui fait la vie complète, cette vie que l’on sent avec toutes ses fibres, toutes ses veines et tous ses nerfs, sans plus rien demander à Dieu ni à la nature ; et c’est pour cela que la patrie ou la femme seules peuvent le satisfaire en le remplissant tout entier.

Jour et nuit j’errais de par les rues de San-Francisco sans pouvoir rester en place une heure ni m’arrêter à quoi que ce fût, sans pouvoir lire une ligne, devenu étranger à toutes