Page:Buies - Chroniques, Tome 2, Voyages, 1875.djvu/191

Cette page a été validée par deux contributeurs.
193
VOYAGES

remontant à bien des générations en arrière ; nous avons la famille et le foyer, celui de nos ancêtres ; nous avons une littérature propre, qui nous est chère, qui exprime l’ensemble de nos idées, de nos habitudes, qui recueille et représente nos traditions ; nos journaux sont des organes et non pas seulement les échos d’une patrie lointaine ; enfin, nous sommes un peuple avec son caractère essentiellement distinct, un passé qui lui est propre, des affections et des aspirations qui nous tiennent étroitement liés. C’est pour cela que, chez nous, la littérature française a sa place marquée et même large parmi les autres éléments intellectuels ; elle remplit un rôle et elle a un avenir vers lequel elle marche en étendant de plus en plus ses ailes ; mais dans tout le reste de l’Amérique, il n’y a pas de nationalité française, ni peut-il y avoir par conséquent de littérature française.

Je m’étais donc trompé du tout au tout en croyant me faire une carrière littéraire à San-Francisco. C’est ce que me démontra du reste surabondamment le rédacteur avec qui j’étais entré en relations. Assurément, je n’allais pas me faire chercheur de nouvelles ou traducteur de dépêches. Toute chance de ce côté s’était donc évanouie pour moi en un clin-d’œil ; et, d’autre part, je ne voulais me faire ni garçon épicier ni commis à six piastres par semaine, ni mineur, ni mitron, ni blanchisseur dans une boutique de Chinois. Avec un capital de quelques cents dollars, j’aurais pu attendre peut-être, nouer des relations et arriver…… à quoi ? je me le demande encore et je ne vois rien.

Heureusement, je n’avais pas même cent piastres. Un ami d’enfance, établi à la Californie depuis des années, riche, et chez qui j’avais compté me rendre et passer quelques semaines, était précisément alors en Europe. Je me