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VOYAGES

Pour étudier les mœurs des bêtes, il faut les avoir libres sous les yeux. L’animal prisonnier se dénature, l’animal féroce surtout. Qu’est-ce qu’un aigle sur un perchoir ? L’immensité en prison, c’est la chose la plus triste, et j’ajoute la moins instructive qui soit. Cette énorme poésie des solitudes vastes prise au piège par l’homme, le hérissement orageux de la crinière du lion se heurtant aux planches d’une boîte de six pieds carrés, n’est-ce pas odieux ?

Quel sombre supplice pour le lion superbe, toujours indompté, que la canne d’un passant qui le taquine à travers les barreaux de sa cage ! Le désert en proie aux curieux, quelle ironie lugubre ! La prison pour les malfaiteurs, ça n’est pas déjà bien attrayant, mais que dire d’une prison qui collectionne ! En voyant ces grands muets effarés, qu’aucun dompteur ne parvient jamais à abrutir complètement, je me sens pris d’un attendrissement réel, et j’ai envie de consoler le tigre, d’embrasser le léopard.

Puisqu’il faut absolument des collections vivantes à la curiosité bête et cruelle, pourquoi ne pas les rendre instructives en plaçant l’animal enfermé dans un milieu où il puisse se ressembler davantage à lui-même ? Pourquoi ne pas lui creuser de vastes fosses, des antres profonds, un simulacre de solitude, où il puisse trouver la nuit qu’il aime au lieu de la foule qui l’ahurit ? Ce lion, condamné au soleil forcé, qu’on lui rende au moins son droit à l’ombre. Alors, vous le verrez moins peut-être, mais vous l’étudierez mieux. Il reprendra en partie sa vie et ses mœurs. Ce sera toujours