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VOYAGES

des hommes au milieu d’un monde absolument étranger, il ne me restait aucune ressource, pas même celle de l’amitié pour les mauvais jours, pour les épreuves qui sans doute ne tarderaient pas à naître. C’était donc pour cela que j’avais, depuis deux ou trois ans, ramassé péniblement les ruines encore intactes de mon passé pour en refaire une vie nouvelle ! C’était pour cela que j’avais tant subi, tant lutté, tant vaincu de préjugés, tant remonté de courants ! C’était pour cela que je m’étais détourné des portes désormais largement ouvertes pour moi dans mon pays, c’était pour venir entre ces quatre murs nus, froids, sans un souvenir, sans un regard, et d’où peut-être je ne sortirais jamais !

Cette heure fut pour moi la plus terrible depuis mon départ du Canada. Tant que j’avais été secoué, emporté dans le chemin de fer, le bruit et le spectacle toujours nouveau avaient pu de temps à autre m’étourdir ; mais maintenant, j’étais seul, seul dans le silence, dans la nuit et dans l’exil.

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Eh bien ! j’ai traversé cette heure comme bien d’autres depuis, et c’est aujourd’hui seulement que je sais tout ce qu’il y a encore de vigueur et de ressources dans une vie que l’on croit à jamais détruite.