Page:Buies - Chroniques, Tome 2, Voyages, 1875.djvu/133

Cette page a été validée par deux contributeurs.
135
VOYAGES.

l’effarouche plus ; il vient jusqu’à deux ou trois arpents de la ligne, écoute avec sa tête fine et douce, suit longtemps du regard, et, parfois, comme s’il voulait imiter le roulement du train, il part de ce galop cadencé et presque rêveur qui fait tendrement frissonner la plaine. Tantôt les antilopes sont par groupes, tantôt ils sont isolés ; le plus souvent ils sont par couples, mâle et femelle, père et mère, l’un près de l’autre dans la vaste solitude. Si le mâle s’est éloigné tant soit peu, il se dépêche, lorsque le train arrive, de rejoindre sa compagne. On lit l’angoisse et la hâte dans sa course précipitée ; elle, souriante, émue — j’oserai employer ces mots — vient doucement au devant de lui ; on les voit alors tous deux ou s’arrêter ou contempler en silence, ou prendre d’un trot léger le chemin sans trace du désert. On comprend, en voyant ces douces et gentilles créatures, quel crime c’est que de leur faire la chasse ; aussi les voyageurs les regardent-ils, presque toujours, d’un œil ému et comme plein de reconnaissance pour l’heureuse, quoique fugitive impression qu’ils en éprouvent.

Le chien de prairie, lui, est un petit être fantastique ; c’est un original et un railleur, guère plus gros que l’écureuil ; d’un jaune plus saillant, il ressort à peine sur la mer de sable, de même couleur que lui, qui l’entoure. Il se tient debout, appuyé sur ses pattes de derrière, au-dessus du petit tertre où il a creusé son trou, et regarde, impassible et narquois, le long défilé du train qui ne lui cause plus la plus légère inquiétude. Les chiens de prairie sont extrêmement nombreux dans certaines parties du désert ; mais l’œil non exercé met du temps à les découvrir, tant ils se confondent, dans leur immobilité, avec les plus petits accidents de terrain, avec les moindres reliefs de l’étendue