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VOYAGES.

s’habituer à la vie de chemin de fer, sans trop de fatigue ; il en connaît toutes les ressources et se protège contre tous ses désagréments, tandis que le voyageur, qui fait d’un trait huit cents à mille lieues, finit après deux ou trois jours par être las de toutes les précautions en les voyant à peu près inutiles. En outre il a un besoin invincible de mouvement, il va d’un car à l’autre, se tient sur la plateforme où la suie et la poussière l’inondent sans qu’il en tienne compte ; pour se distraire, il fume à outrance dans des compartiments où les banquettes gémissent sous le poids des bottes et en retiennent toute la malpropreté ; il a beau se laver, se brosser, se peigner vingt fois par jour, rien n’y fait ; plus il se débarbouille, plus il en a besoin, car la peau nettoyée prend plus vite la poussière ; enfin, de lassitude, il laisse là tous les expédients et s’abandonne à l’horreur de son sort.

Les dames évitent mieux que les hommes toutes ces misères d’un long voyage. Tranquillement assises, voilées, gantées, résignées et patientes, elles échappent en partie aux inconvénients qui désolent l’homme, et peuvent les subir plus longtemps. Elle ne descendent pas à chaque station alimentaire, tant s’en faut ; c’est plutôt pour elles que le panier de provisions est resté un compagnon de voyage ; elles se font dresser une petite table devant leur banquette, mangent de compagnie deux ou trois ensemble, lentement, et font remplir de temps à autre leur bidon de lait ou leur carafon de vin. Elles se prémunissent tant soit peu contre l’ennui en ayant soin de ne pas voyager seules sur ce long